Très belle message de Christian Papazoglakis:
La vérité, c'est que je n'ai jamais été fan de Michel Vaillant. En dehors des courses US qui m'obsédaient déjà, ces histoires de messieurs en costume cravate qui rentrent chez bobonne après leur journée à l'usine de papa, ça ne me faisait pas rêver. Je préférais Gaston, ou les casseurs. Mais fin des années 90, j'avais besoin de travailler, et Graton Éditeur avait besoin de quelqu'un pour remplir les vides sur les planches à une époque où Mr. Graton n'allait pas bien et n'était pas motivé par sa série vieillissante et méprisée. J'y ai été avec ma bite et mon couteau en sachant que je n'étais pas compétent, mais que ce serait moins dur que les jobs que j'enfilais à l'époque. Et j'ai travaillé « avec » Jean Graton. Sans lui surtout au début, c'est la différence entre un assistant et un apprenti. La sortie du film de Besson à retourné l'opinion générale sur Michel Vaillant du jour au lendemain. Il fallait détester le film mais adorer la BD devenue un classique. Monsieur Graton a commencé à recevoir de l'attention, quelques prix, on l'a vu revivre. Ça faisait plaisir à voir. On a ensuite travaillé ensemble dans l'atelier historique de l'avenue du Pérou, où j'ai découvert un monsieur à l'opposé de la réputation de réac bourru qu'il traînait. Vif d'esprit, drôle, espiègle, accueillant, ouvert et incroyablement respectueux de notre travail pourtant souvent contestable (« bon, c'est vous les jeunes, c'est vous qui savez ce qu'il faut faire »). Un bon vivant surtout. Un respect pour son public qui n'a pas sauté les générations (« c'est pas parce qu'on fait de la BD qu'il faut faire n'importe quoi »). J'ai ensuite découvert les encrages magnifiques des labourdets sur les planches originales, ses hôtesses de l'air, ses jeunes-filles alanguies. Le cul entre deux chaises avec d'un côté mes potes de la BD indé qui associent à tort ce gentleman spirituel à ses personnages (mais l'homme ne se réduit pas à son travail, heureusement) de l'autre les fans inconditionnels qui ne tolèrent aucune distance. J'avais énormément de respect, oserais-je dire d'affection, pour cet honnête artisan modeste et travailleur, la longévité de sa carrière atteste de certaines qualités, qu'on aime ou qu'on n'aime pas ses albums. J'ai aussi une pensée pour ses assistants de la grande époque, à commencer par Clovis, dont l'apport au vocabulaire graphique de la série m'a toujours paru injustement négligé. C'était deux messieurs plein de qualités humaines que j'ai eu beaucoup de plaisir et de fierté à fréquenter. |